Maman, ma force et mon guide

Chère maman,

De ton vivant, tu attendais toujours, le jour de la Fête des Mères, une lettre de ce genre, écrite, non de façon rituelle, mais avec ce trop-plein d’amour filial. Après ton départ en 2010, j’ai continué à t’écrire chaque année en me disant, à chaque fois, que ce sera la dernière et que la prochaine fête des mères, je te laisserai deviner mon amour. Et me voilà donc, cette année encore, en train d’établir avec toi ce rapprochement épistolaire qui me réconforte tant.

Laisse-moi tout d’abord te dire, chère maman, que je commence à sentir le poids des ans. Je ne suis plus aussi agile, aussi perspicace. J’atteins cet âge où chaque jour devient une bénédiction.

Aussi, ces derniers temps, je me rappelle souvent de ton énergie, de ton ardeur quand tu avais cet âge, ce qui accroît cette admiration que je t’ai toujours portée. Ces derniers temps, je me rappelle également certains de tes nombreux conseils, et celui-ci me revient souvent à la mémoire : « Mon fils, prends toujours bien soin de toi. Personne ne le fera aussi bien que toi. » C’est un conseil bien salutaire que j’essaie souvent de donner à ceux et celles que j’aime bien.

Je dois pourtant aujourd’hui t’avouer que, enfant et jeune adulte, je l’ai souvent questionné considérant les liens étroits qui existaient entre les différents membres de notre famille et où chacun veillait au bien-être des autres. Je me disais que quelqu’un de la famille prendrait bien soin de moi. Aujourd’hui, je me rends compte que tu avais, en ce temps-là, une vision prophétique.

Tu vois, maman, mon monde est bien différent du tien. Les liens familiaux qui apparaissaient autrefois si étroitement tissés se sont défaits à un point tel que les nouveaux membres de notre grande famille sont inconnus de la majorité. Nous vivons à des milliers de kilomètres l’un de l’autre et ne communiquons qu’avec ceux de notre famille avec qui nous avons une certaine affinité. Les funérailles d’un aîné constituent notre seul moment de rencontre, et là encore, la convivialité est bien superficielle. Personnellement et professionnellement, je navigue dans un réseau composé de voies rapides uniquement. Mon monde met sous les feux des projecteurs ceux qui ne savent que manipuler, détruire, et pire, mentir sans se faire démasquer.

Tu te demandes probablement pourquoi, je te raconte tout ça cette année. C’est ma façon à moi de te dire que je vis encore avec tes souvenirs, qu’ils m’aident à vivre les péripéties de ma vie. Une façon également de te dire que tu m’avais bien muni pour la vie. Je veux te rappeler que tu es à l’origine de nombreux de mes grands succès. Je veux surtout te dire que tu ne monopolises pas ma pensée uniquement en ces jours dédiés aux mamans, mais chaque jour depuis que tu nous as quittés.

Quand tout semble aller au ralenti dans ma vie, je pense à toi et à ce que tu ferais.

Quand je récolte dans la joie le fruit de mes durs labeurs, je pense à toi et semble t’entendre me dire « Exalte devant le succès mais ne t’y complaît pas trop car il ne marque que la fin d’une entreprise et qu’il y aura tant d’autres dans la vie. »

Quand je découvre que le pire m’attend au détour d’un chemin, je pense à toi et je m’arrête calmement ou emprunte une autre voie, un sentier étroit et long si possible.

De toi, j’ai appris qu’on ne peut être un total désastre ou une suite de succès. La vie n’est ni un enfer ni un séjour au paradis. Elle est faite de luttes qui peuvent se solder par de cuisantes défaites et des nobles victoires. L’essentiel c’est ne pas se laisser totalement abattu ou trop s’en enorgueillir.

En ce jour de la Fête des Mères, je te demande de continuer à être ma force et mon guide. Pour ma part, je continuerai à chérir filialement ton souvenir.

Bonne fête maman,

Ton fils,

J.A.
Samedi 28 mai 2016