Elections et autodestruction

Une manifestation post-électorale de novembre 2015
Une manifestation post-électorale
Novembre 2015
(AP Photo/Dieu Nalio Chery)

Il n’y a qu’un mot pour décrire les raisons derrière les événements parfois tragiques de ces dernières semaines: Autodestruction.

Généralement, cette morbidité reflète des sentiments de frustration et de haine mal gérés envers quelqu’un ou quelque chose quand elle n’est simplement un manque total d’amour propre. Au niveau personnel, diverses sont ses manifestations mais toutes se convergent en un point caractérisé par une agressivité suicidaire. Au niveau social, l’autodestruction se manifeste par une absence de projet de société à long terme, une certaine complaisance à vivre dans l’hécatombe et une vie enfin tissée d’innombrables discontinuités.

Le processus électoral débuté au début de cette année après plus de trois ans de tergiversations, montre à quel point l’Haïtien éprouve des difficultés à contenir cette agressivité ou à cacher ses traits. Après l’annonce des résultats préliminaires des présidentielles du 25 octobre par le Conseil électoral provisoire (Cep), son président, Pierre-louis Opont, ne cesse  d’afficher cette arrogance visqueuse devenue désormais une caractéristique des présidents des conseils électoraux.

L’organisme électoral  du 23 janvier 2015 qui avait reçu la charge d’organiser les multiples élections sur une période de quatre mois montra également une telle incompétence qu’on se demande bien si les conseillers n’ont pas déjà pensé suivre l’exemple de Léon Manus, président du conseil électoral de 1999, qui, après avoir cautionné le gâchis des législatives du 21 mai 2000, chercha refuge à l’étranger où il finit ses jours. En fait, tous leurs efforts semblent porter ombrage à leur civisme, leur sens de responsabilité, créer des hécatombes politiques et donc saper un possible héritage. A moins d’un miracle de dernières minutes, ce Cep passera à l’histoire comme le pire des organismes électoraux de ces 28 dernières années. Le conseil du 11 décembre 1987 présidé par Maître Jean Gilbert n’engendrait au moins aucune illusion vu les circonstances dans lesquelles il a été formé.

Comment Pierre-Louis Opont et ses collègues conseillers aient pu accepter plus de 54 candidatures aux présidentielles quand plus d’une quarantaine de ces citoyens nourrissant des velléités de chef d’état sont de grands méconnus ou ne jouissent d’aucune popularité. Il est vrai que certains avantages financiers offerts aux candidats furent une attraction que la majorité ne pouvait ignorer. Mais une épuration suivant la logique et les lois en vigueur s’avérait nécessaire. Le nombre élevé ne pouvait engendrer que chaos. Chaos psychologique parmi les électeurs, chaos physico-spatial dans les centres de vote et chaos logistique durant le processus de tabulation. C’est un risque suicidaire que le conseil électoral a assumé et que tous, nous payons les conséquences aujourd’hui. Et dire qu’il s’était fait entourer d’experts internationaux. C’est à se demander si ces démarches ne faisaient pas partie d’une machination. Les accusations de fraudes contre la Mission des Nations-Unies pour la stabilisation en Haïti (Minustah) et un citoyen canadien qui assurait la logistique des opérations de vote le 25 octobre nous pousse à nous poser de telles questions.

C’est vraiment dommage, car le petit peuple fait et fera les frais de cette irresponsabilité; ce petit peuple qui, presque trente ans après la fin du gouvernement des Duvalier, s’attend à beaucoup mieux.

Trente ans de gaspillage d’énergie et de gabegie administrative. Quand on pense qu’en ce même laps de temps, les Japonais, vaincus, déambulant au début sur un territoire bombardé et détruit, avaient pu se relever au point de susciter l’envie et l’admiration du monde.

Trente années de tergiversations en se faisant constamment taper sur les doigts par les grands frères du nord, sans afficher aucune honte.

Trente années de conneries politiques en pensant que renvoyer un élu, sans avoir au préalable une feuille de route, résoudrait tous les maux.

Trente années d’onirisme social qui n’émeut plus les instances internationales dont la présence sur le terrain répond à des raisons de sécurité nationale et, pour certains, des avantages financiers plutôt qu’aux élans humanitaires.

Mais faut-il s’en plaindre? Nous sommes, avec nos créations de fortune, comme ces CEP sans lendemain, des autodestructeurs.

J.A.
25 novembre 2015