Lettre ouverte à la jeunesse haïtienne

Texte reçu le 15 juillet 2014

Par Jean L. Théagène

« Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles. »
Sénèque

Lettre ouvertePar les temps qui courent, il est vraiment triste d’être un haïtien. Ce sont là les mots d’un grand historien qui supputait l’inévitable dérive de la Nation. L’ère de la formule-flèche, de l’expression raccourcie, du pittoresque significatif commençait pour ce pays ballotté entre l’anarchie et l’espoir. Dans sa curiosité qui avait l’aiguillon du génie, Roger Gaillard avait fait montre de passion investigatrice, de minutie incomparable dans son travail d’annaliste. Il a jeté un regard passionné sur l’Histoire de notre passé et en a tiré son œuvre maîtresse: « Les Blancs débarquent » qui aurait dû provoquer une profonde réflexion chez tous les haïtiens intellectuels aussi bien qu’analphabètes. Pourtant, pour la plupart, les fils de ce pays n’ont pas su éviter en deux fois sur une période de quinze ans, ces gifles sonores répétées dont nous abreuve la communauté internationale à l’instigation des laquais nationaux.

Néanmoins, il fut un temps, à tout le moins un intermède où nous avions un pays avec des institutions d’Etat, avec des hommes et des femmes de valeur, avec une société complexe certes, mais réelle, une économie endogène mais suffisante. De graves problèmes mais des espoirs à la tonne, car chaque famille haïtienne, chaque citoyen du plus grand au plus petit étaient porteurs de visions, de desseins bienfaisants, de missions. Le notable n’était plus seulement le bourgeois de ville ou le petit richard de banlieue. La notabilité s’était définie d’autres critères: haute moralité, esprit de famille, sens civique, niveau élevé de patriotisme, solidarité à toute épreuve etc. Toutes qualités qui se retrouvaient à des degrés peut-être différents dans ce qu’on appelle aujourd’hui « les anciens haïtiens » par rapport aux « nouveaux » qui se targuent d’être des citoyens modernes avec double ou triple citoyenneté et surtout avec l’obsession de la réussite matérielle par tous les moyens légaux ou illégaux. C’est un peu le modèle qu’on offre aux générations montantes. Et notre échelle des valeurs n’en finit point de s’incliner. La situation actuelle d’Haïti n’est nullement étonnante. Car, une société sans mémoire est, en quelque sorte, sans présent et surtout sans avenir. La rupture d’un maillon de la chaîne entraîne la destruction de l’ensemble. Et c’est ce qui arrive à cette nation née, il y a un peu plus de deux siècles.

Dans la conjoncture actuelle, le Corps Diplomatique, faisant fi du devoir de réserve et du droit universellement reconnu des peuples à disposer d’eux-mêmes se comporte comme un Directoire de l’Etat Haïtien. Et, pour mieux occulter notre souveraineté, certains diplomates, occupent continuellement la scène et l’avant-scène de la politique haïtienne, alors que de tous les temps et dans tous les pays, la diplomatie n’a jamais été tumultueuse, mais silencieuse. Ils sont parvenus jusqu’à faire mentir ce proverbe considéré comme l’expression de la sagesse séculaire de l’humanité:”Good fences make good neighbours”,” les bonnes frontières font les bons voisins”. Et dans cette Haïti réduite, par la grâce de ses dirigeants, au rang de pays assisté, l’aide internationale se matérialise d’une manière à créer la dépendance et le parasitisme.

Jeunes de mon pays, haïtiens du 21ème siècle, comment pouvez-vous être aussi aveugles au point de ne pas voir l’abîme qui se dessine sous vos pieds? Comment pouvez-vous être si inconséquents et imprévoyants au point de confier dans des élections-bidons votre destin à des comédiens de boulevard incapables de jouer convenablement une pièce montée par les plus grands du théâtre mondial? Comment enfin, pouvez-vous en plein naufrage, vous accrocher à ces tiges desséchées en espérant atteindre le rivage? Au moment où les structures de l’État se désagrègent inexorablement sous l’action conjuguée des sympathisants internationaux d’un pouvoir rétrograde et de la résignation morbide d’une population prise en otage dans un processus de déliquescence accélérée de notre société, on insulte votre intelligence en vous conviant dans des comices irréalisables, façon de vous détourner de la réalité vraie . Ce cocktail vous est soumis par l’Internationale rien que pour ne pas perdre la face aux yeux du monde qui s’attend depuis longtemps que la branche pourrie se détache d’elle-même de l’arbre de la vie et renoue avec son destin de poussière, comme il en a toujours été de ces régimes politiques chassés à coup de violence, de barbarie et de terrorisme depuis Michel Domingue jusqu’à Vilbrun Guillaume Sam pour arriver à la triste période de fin de règne de Jean-Claude Duvalier et de Jean-Bertrand Aristide. Mondialisation oblige, Jeunesse de mon pays!

Oui, mondialisation oblige, la mise au pas des états délinquants devient une priorité. Par la force des choses, Haïti se retrouve le premier sur la liste des contrevenants au nouvel ordre qui se dessine à l’horizon. On est en train de lui faire payer très cher le prix de son entrée dans cette ère où il n’y a guère de place pour la fainéantise, la turpitude et l’immoralité. Tout comme, il n’y a pas de place pour l’incompétence biologique et le crétinisme politique. Assujetti aux contraintes du temps, le pouvoir Tèt KAlé, avec ce sot opulent et arrogant, corrompu et corrupteur de Lamothe touche à sa fin car, incapable de relever avec honneur et talent les défis incommensurables de la vie moderne pour son peuple. Alors, il est venu le temps pour la jeunesse saine du pays de prouver à l’univers entier que ce petit coin de terre en situation de “léthargie du développement” n’a jamais démérité de sa notoriété et de sa réputation de créateur d’espaces de liberté par son refus de patauger dans cette médiocrité de minus et d’histrions qui veulent continuer à encombrer les avenues de la politique haïtienne.

Jeunes de mon pays, anonymes ou qui tardent à se faire connaître, vous vous retrouvez à travers ces lignes aujourd’hui interpellés pour résorber ce déficit de compétence et d’honnêteté dont notre pays a un si grand besoin. Vous avez pour devoir de barrer la route à cette armada de caïmans qui entendent envahir les rues ensoleillées du pays de Dessalines et de Christophe dans des élections programmées. En ces moments douloureux de notre histoire, il ne peut y avoir de place pour le folklore ou la médiocrité, pour des batailles stériles menées de front tant par des hommes d’expérience que par les abrutis qui se croient tout permis dans leur vie insignifiante .

Comment comprendre, Jeunesse de mon pays, que des élections soient déclarées en violation flagrante de la Constitution Haïtienne? De nombreuses fois, cette dernière est foulée aux pieds, aujourd’hui encore, l’histoire nationale évolue dans un contexte totalement anticonstitutionnel. Le CEP, en tant qu’institution garante d’élections libres et crédibles se devrait d’entreprendre un travail de dépollution mentale en s’armant du courage des Visionnaires pour épargner aux membres de la société haïtienne le qualificatif insultant de “Comédiens”.

Comment comprendre, Jeunesse de mon pays, que des lambeaux de partis, des kidnappeurs et des assassins fassent encore l’objet de tant de convoitise? Comment comprendre cette galopade effrénée des hordes du pouvoir dans la course actuelle dont les transformations caméléonesques n’arriveront jamais à masquer la queue qui s’agite au bout de leur insignifiante personne, alors qu’ils auront à répondre de leur gestion scandaleuse et malhonnête devant la Cour Supérieure des Comptes ? Outre l’intransigeance de l’Audit, des suspicions sérieuses planent déjà sur ces audacieux prétendants, : citoyenneté, honnêteté, compétence, notoriété, casier judiciaire etc…Car, si la femme de César doit être au-dessus de tout soupçon, à plus forte raison, César lui-même doit faire taire toutes les rumeurs insidieuses susceptibles d’entacher sa réputation.

Aussi, à la lumière des échecs répétés des dirigeants en provenance de diverses classes sociales haïtiennes, importe-t-il de mettre de côté les artifices de la politique traditionnelle pour s’engager dans de nouvelles avenues et tenter de nouvelles expériences avec de nouveaux acteurs. Il ne faut guère oublier qu’un phénomène ne témoigne pas à lui seul de l’ensemble d’une culture ni d’une société. Ce qui reviendrait à suggérer à la Jeunesse de mon pays de ne plus s’exposer à cette surdité de terreur, même de complicité, susceptible de refréner les ardeurs et la générosité de cet âge. La jeunesse a déjà fait l’histoire en 1946 lors des “Glorieuses” mettant fin à une dérive de 31 ans de prise en otage du pays réel par le pays légal. Et résonnent encore à nos oreilles tel l’écho des bombes sur un champ de mines les voix de Dorléan Juste, René Dépestre, René Belance, Jean F. Brière et celles de tous les anonymes qui ont marqué les mémorables journées de grève de 1946 au cours desquelles le gouvernement rétrograde d’Elie Lescot a dû plier bagages et abandonner le terrain. Il en est de même de tous les mouvements de jeunes qui, dans la suite, n’ont pas craint d’affronter les forces de répression pour la défense de leurs idées progressistes.

Remontant le cours de l’histoire, on peut, en outre, évoquer l’attitude des jeunes de la province: les Alphonse Henriquez, Ferry Auguste, Georges Séraphin et tous les autres qui, dans leur temps, ont fait montre de courage, de bravoure et de fermeté dans leurs revendications. Le seul reproche qu’on puisse leur adresser c’est de n’avoir pas recherché cet encadrement qui leur aurait permis de prendre une part plus active à la gestion politique de leur pays. Une fois de plus, c’est à cette jeunesse qui monte aux barricades et au créneau que nous nous référons pour redonner à Haïti cette dignité et cette fierté d’appartenir à une humanité plus ouverte et surtout plus consciente des dangers impliquant les protistes de la politique. A cette jeunesse qu’aujourd’hui l’histoire sollicite pour qu’ Haïti ne tombe plus dans les ornières de la division et de la haine alimentées par les idéologies autant religieuses que politiques, nous osons vous dire:” Vous ne devez de salut à personne”. Il vous engrange des obligés. Tout le monde sait que la jeunesse haïtienne a toujours fait montre de générosité, de solidarité et de grandeur d’âme. Même si elle a été corrompue en cours de route par les chants de sirène des Don Quichotte des idées subversives, la jeunesse est et reste l’ultime canot de sauvetage du navire national en perdition. Les aînés qui ont fait leur preuve peuvent toujours servir d’exemple aux jeunes d’aujourd’hui.

Alors, il est temps, Jeunesse de mon pays, de jeter à la poubelle ces polichinelles de la politique haïtienne, ces marionnettes des théâtres d’ombre qui n’amusent plus…Le temps est venu pour vous de prendre en main votre propre destin lourdement hypothéqué par des générations d’abrutis qui n’ont fait que vous apprendre à voler, tuer, haïr sans espoir, sans compensation et sans grandeur. La jeunesse est une force qui s’ignore. Elle a la force de son âge pour tout chambarder à la manière d’un tsunami qui détruit, qui nettoie et qui, éventuellement provoque l’exubérance des vergers et des prés trop longtemps laissés à l’abandon. C’est à cette jeunesse et à elle seule que nous faisons référence pour exorciser la répétition odieuse des échecs de toutes les classes sociales et de toutes les catégories professionnelles de ce pays. Alors, il y a de fortes chances que les choses peuvent changer pour vous dans la mesure où comme l’écrit le poète:

« Vous êtes
Océans ou ruisseaux
Soleils ou planètes »

Dr Jean L. Théagène